Si les lignes Asie – Europe demeurent la colonne vertébrale du business de CMA CGM, le groupe maritime français mise également sur les marchés émergeants, à commencer par le continent africain. Actuellement, l’Afrique subsaharienne représente 10% de l’activité de CMA CGM, avec des perspectives très intéressantes. Malgré des problèmes sécuritaires, comme la piraterie au large de la Somalie et dans le golfe de Guinée, ainsi que l’activité terroriste autour du Sahel, l’économie bénéficie, en effet, d’une croissance soutenue. « Depuis cinq ans, la zone connait une croissance de 5 à 8% du PIB et tout indique qu’il en sera de même dans les cinq prochaines années », explique Mathieu Friedberg, directeur central des lignes Afrique chez CMA CGM. Qu’il s’agisse d’import ou d’export, le commerce grandit, ce qui peut d’ailleurs se mesurer aux aménagements portuaires réalisés sur la côte africaine, avec les mises en service de six à sept ports en eau profonde prévues dans les prochaines années.   (© CMA CGM) (© CMA CGM) 25 services et 48 ports desservis CMA CGM est très présent en Afrique subsaharienne, où il a ouvert son premier service, le West Africa Express (WAX) en 2001. Mais c’est surtout l’implantation historique de sa filiale Delmas, rachetée à Bolloré et intégrée début 2006, qui a donné un coup d’accélérateur à son activité sur le marché africain, dont Delmas est un spécialiste. Aujourd’hui, le groupe compte en Afrique 72 bureaux dans 43 pays, quelques 1300 collaborateurs étant mobilisés sur ce marché. CMA CGM propose en Afrique subsaharienne 25 services maritimes directs, desservant 48 ports, l’armateur ayant transporté 1.2 million d’EVP (Equivalent Vingt Pieds, taille standard du conteneur) en 2013. Le groupe est aujourd’hui leader à l’import en Angola, au Gabon, en République Démocratique du Congo et au Sénégal, et à l’export en Angola, au Congo, au Gabon, au Ghana et au Sénégal. Au final, il se trouve en position de numéro 1 ou 2 sur la moitié des marchés (Asie-Extrême orient, Atlantique, Sous-continent Indien, Moyen-Orient, Amérique du Sud et Amérique Centrale). (© CMA CGM) (© CMA CGM) La force d’un réseau mondial L’une des grandes forces de CMA CGM est de proposer à ses clients un réseau mondial, qui relie les ports africains à l’ensemble de la planète. L’armement français, alignant une flotte de 428 navires pour 11.4 millions d’EVP transportés l’an dernier, exploite en effet 170 services maritimes desservant 400 ports dans 150 pays. Les connexions aux grandes lignes se font via les hubs portuaires, Tanger Med au Maroc, Durban en Afrique du sud, ou encore  Khor Fakkan aux Emirats Arabes Unis, sans oublier Port Kelang en Malaisie. Ces grandes places portuaires, qui permettent d’éclater la marchandise vers tous les marchés mondiaux, notamment l’Europe et l’Asie, sont connectées aux ports africains par des services « secondaires ». Mais il existe aussi des liaisons directes vers l’Europe, notamment les ports du Havre et de Dunkerque, et même vers la Chine. Le service WAX, dont le nom rappelle les célèbres tissus africains aux imprimés batik, permet ainsi de transporter tout type de marchandise entre les principaux ports de la côte ouest-africaine et l’Extrême Orient. WAX est notamment la seule ligne du marché reliant le nord de la Chine à tous les ports du Nigeria, plus grand marché d’Afrique de l’ouest. La dernière réorganisation de la ligne, en avril 2013, s’est traduite par de nouvelles escales dans les ports chinois de Tianjin Xingang et Qingdao. De même, CMA CGM assure depuis septembre 2013 un service direct entre l’Afrique de l’ouest et l’Amérique du sud, évitant un transbordement à Durban. Bimensuel, SAMWAF dessert en direct Abidjan, Pointe Noire et Luanda, qui sont connectés au réseau de cabotage (feeders) ouvrant les destinations secondaires de la zone : Dakar, San Pedro, Téma, Cotonou, TinCan, Onne, Douala, Malabo, Bata, Libreville, Port Gentil, Cabinda, Matadi, Boma, Soyo, Lobito, Namibe et Walvis Bay. Le hub portuaire de Khor Fakkan, aux EAU (© MER ET MARINE - V. GROIZELEAU) Le hub portuaire de Khor Fakkan, aux EAU (© MER ET MARINE – V. GROIZELEAU) Un marché tendu car convoité par de nouveaux acteurs Si CMA CGM et les autres acteurs historiques, comme le groupe danois Maersk et sa filiale Safmarine, leaders sur le continent, comptent surfer sur la croissance de l’Afrique, ils ne sont pas les seuls, loin s’en faut. De nouveaux acteurs convoitent également ce marché, comme l’Allemand Hapag-Lloyd, et surtout des Asiatiques : Evergreen, MOL, Hyundai, China Shipping… Même si les volumes traités par ces nouveaux entrants sont encore relativement faibles, l’effet perturbateur se fait sentir. « Ce qui a été une spécialité, l’Afrique, se banalise et le marché est de plus en plus compétitif. On constate une vraie pression tarifaire », notre Mathieu Friedberg. Face au déséquilibre grandissant entre l’offre et la demande, les opérateurs historiques doivent s’adapter. « Nous jouons sur la qualité du service en mer et les gains d’échelle, avec des volumes plus importants et des navires plus gros qui permettent de réduire les prix ». (© CMA CGM) (© CMA CGM) L’atout majeur des services terrestres Mais, pour répondre à la pression des nouveaux entrants, CMA CGM joue aussi, et surtout, la carte de son implantation locale. « La partie maritime est, en fait, la plus facile, n’importe qui pouvant positionner des navires. En revanche, dès que l’on touche le sol africain, cela devient beaucoup plus compliqué. L’Afrique reste un marché très spécifique qui nécessite une solide connaissance des zones desservies. Il faut par exemple compter avec les infrastructures, les procédures douanières et, surtout, être en mesure d’assurer l’acheminement de la marchandise dans les terres ». L’intégration de Delmas, présent sur place depuis 1925, a de ce point de vue été un très grand atout. « Il y a un véritable savoir-faire et une connaissance du marché grâce à la présence historique du groupe en Afrique. Nous avons sur le continent tout un réseau, avec une présence physique dans les différents pays d’Afrique subsaharienne, à l’exception de la Centrafrique. C’est une force extraordinaire qui nous permet de développer auprès de nos clients des produits terrestres permettant de répondre aux besoins. Nous avons notamment créé des plateformes logistiques pour offrir des services de stockage, entreposage, dépotage et empotage de conteneurs, ainsi que des branchements reefer. Dans le même temps, nous mettons en place des solutions de transport intermodal pour livrer les marchandises au cœur des territoires. C’est une véritable source de différenciation par rapport à un simple service maritime et un gage de confiance et de fidélisation pour nos clients, qui savent que lorsqu’ils choisissent CMA CGM, ils bénéficient d’un ensemble de services en mer et à terre », note Mathieu Friedberg. (© CMA CGM) (© CMA CGM) Développer l’intermodal et les infrastructures Le réseau ne cesse en tous cas de se développer. En Afrique de l’ouest, par exemple, Bamako (Mali) est desservi par des corridors routiers avec les ports de Dakar (Sénégal), Conakry (Guinée) et Abidjan (Côte d’Ivoire), ce dernier étant également relié à Bobo Dioulasso et Ouagadougou au Burkina Faso. De Téma (Ghana) et Lomé (Togo), on rejoint également par la route Ouagadougou, le port de Lomé desservant aussi Niamey (Niger), tout comme le port de Cotonou (Bénin). Des services ferroviaires ont également été mis en place entre Dakar et Bamako (via Kayes), entre Abidjan et Ouagadougou (via Bobo Dioulasso) et au Bénin entre Cotonou et Paraku. Avec des projets d’extension entre Ouagadougou et Niamey, ainsi qu’entre Paraku et Niamey. (© CMA CGM) (© CMA CGM) Dans les ports, également, les choses évoluent vite, avec des développements (ports en eau profonde, nouveaux terminaux) au Congo, au Sénégal, au Togo, au Cameroun, en Côte d’Ivoire ou encore au Nigeria. Les infrastructures se développent, offrant des outils adaptés au commerce moderne et autorisant des escales plus courtes. En janvier dernier, CMA Terminals et ICTSI ont signé un accord pour une prise de participation de 25% du nouveau terminal nigérian de Lekki qui, avec une capacité annuelle de 2.5 millions d’EVP, doit fournir une solution à la congestion actuelle du marché local au Nigeria. Lekki servira également de hub régional de transbordement en Afrique de l’ouest. Le mois dernier, CMA CGM a aussi annoncé la mise en service d’une seconde plateforme à conteneurs au Sénégal. S’ajoutant à CMA CGM Terminal Conteneurs Dakar, opérationnel depuis 2011, elle va permettre au groupe de voir la surface disponible passer de 10.200 à 20.500 m². Avec pour objectif d’améliorer les services, notamment pour les conteneurs frigorifiques (reefer) et d’offrir un plus grand espace dédié aux activités minières. Idéalement situées, à proximité des grands axes routiers et ferroviaires, ces plateformes ultra sécurisées permettent une connexion rapide au réseau de transport intermodal de CMA CGM. On notera par ailleurs que le groupe a ouvert en février une nouvelle agence en Mauritanie, avec un siège à Nouakchott et un bureau à Nouadibhou. L’an dernier, c’est au Niger, à Niamey, qu’une nouvelle agence avait été inaugurée. (© CMA CGM) (© CMA CGM) L’Afrique de l’Est monte en puissance Si l’Afrique de l’ouest constitue le cœur de l’activité du groupe, celui-ci se développe également de l’autre côté du continent. Restée durant de nombreuses années à l’écart du commerce international en raison de la guerre civile débutée en 1991 et de l’insécurité qui a régné ensuite (avec notamment l’explosion de la piraterie), la Somalie reprend ses échanges. Ainsi, fin janvier, CMA CGM a lancé le Noura Express, un nouveau service reliant le Moyen-Orient au port somalien de Mogadiscio. Une ligne connectée au réseau global de CMA CGM via le hub émirati de Khor Fakkan. Mais le pays le plus prometteur est bien entendu le Mozambique, où la découverte d’énormes gisements gaziers constitue un potentiel d’activité commerciale considérable. Le développement des champs offshore va, en effet, engendrer des besoins industriels très forts, nécessitant l’importation de nombreuses marchandises. Le Mozambique, qui était jusqu’ici l’un des pays les plus pauvres du monde, profitera donc, dans les prochaines années, de ressources naturelles phénoménales pour se développer. De nombreux acteurs l’ont bien compris et s’y installent sans tarder. Alors que Bolloré a par exemple implanté un dock flottant à Pemba, non loin des zones où se situent les gisements de gaz, CMA CGM a ouvert en janvier un nouveau service, avec une couverture étendue des ports mozambicains. Le Rhino Express dessert maintenant Pemba, Nacala, Quelimane, Beira et Maputo, qui sont reliés en direct au grand hub de Durban, en Afrique du sud, qui permet une connexion avec le marché asiatique, l’Inde et le Moyen-Orient, ainsi que l’Afrique de l’ouest. En dehors du nouveau potentiel de développement offert par l’exploitation future du gaz, on notera que le Mozambique est aussi la porte d’entrée vers le cœur de l’Afrique, avec des corridors vers la Zambie, le Zimbabwe et le Malawi. Jusqu’à la République Démocratique du Congo, les minerais extraits des gisements situés au sud-est de ce pays (cobalt, zinc, cuivre…) étant notamment exportés via le Mozambique. En Zambie, autre pays particulièrement riche en minéraux (avec la région du Copperbelt) où il est présent depuis 2011, CMA CGM a ouvert à l’été 2013 un troisième corridor permettant de rejoindre Lusaka, Kitwe, Ndola, mais aussi Lubumbashi dans le sud de la RDC depuis Walvis-Bay, en Namibie. Ce nouveau corridor s’ajoute à ceux desservant Dar Es Salaam, en Tanzanie, et Beira, au Mozambique. (© CMA CGM) (© CMA CGM) L’intégration de Delmas Depuis la reprise de Delmas il y a un peu plus de 8 ans, la compagnie havraise a été intégrée à CMA CGM. Sa flotte a finalement disparu, les navires étant progressivement mis aux couleurs du groupe avant d’être désarmés, un seul bateau de l’époque Bolloré, le Saint Roch, étant encore en service. L’an dernier, le regroupement des lignes Afrique a été acté, les équipes havraises étant appelées à déménager au siège de CMA CGM, à Marseille. Destinée à améliorer l’efficacité et l’intégration des services, cette évolution, qui a entrainé la mutation d’une centaine de collaborateurs depuis la Normandie vers la Provence, doit être achevée d’ici l’été 2014. « Quand CMA CGM a racheté Delmas, des synergies ont rapidement été dégagées, notamment en termes de logistiques, d’affrètements et d’achat de soutes. Mais ça n’a pas été une pure fusion, les entités sont d’abord restées distinctes, ce qui n’était pas productif ni optimal vis-à-vis des clients. D’où le regroupement de toutes les lignes Afrique à Marseille, où nous avons une direction commune. Il y a aujourd’hui trois patrons de lignes responsables chacun des deux marques, avec sous eux des équipes commerciales distinctes ». (© MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU) (© MER ET MARINE – VINCENT GROIZELEAU) Si Delmas n’a plus de bateau en propre, la marque est toujours vivace en Afrique, où sa notoriété demeure très importante. Ainsi, sur les 1.2 million d’EVP transportés l’an dernier depuis et vers l’Afrique par le groupe français, 55% l’ont été sous la marque Delmas et 45% sous la marque CMA CGM. « Delmas est une marque reconnue et, en Afrique de l’ouest, c’est quelque chose ! Ce qui fait sa valeur, c’est sa présence historique, et c’est aussi l’humain », souligne Mathieu Friedberg. Le groupe entend donc conserver les deux marques, tout en mutualisant autant que possible les lignes. « Nos clients vont chez CMA CGM ou Delmas et peuvent changer. Nous avons un fil conducteur entre nos réseaux, où il y a certes deux forces de vente, mais qui travaillent de manière cohérente, par exemple au niveau de la politique commerciale ». Pour le reste, les bateaux et les terminaux sont les mêmes, tout comme les services terrestres. La différence est donc devenue avant tout symbolique. L'ancien Lucie Delmas (© FABIEN MONTREUIL) L’ancien Lucie Delmas (© FABIEN MONTREUIL) La fin des rouliers On rappellera enfin que l’année 2013 a vu la fin de l’activité roulière entre l’Europe et l’Afrique, les dernier CON-RO (porte-conteneurs rouliers) de la flotte, les Laura Delmas, Lucie Delmas et Rosa Delmas étant désarmés et envoyés à la démolition. Seul le Saint Roch a donc été pour le moment maintenu, mais ce navire a été réaffecté au service vers la Libye. L’arrêt de cette activité s’explique de plusieurs manières. D’abord, le business dans le domaine du fret roulier, qui a fait les grandes heures de ce service, n’est plus rentable. Les vieux CON-RO de Delmas étaient concurrencés par des navires modernes exclusivement conçus pour le transport roulier et la ligne n’était bénéficiaire que grâce au transport de conteneurs. Alors que les infrastructures portuaires en Afrique se sont développées ces dernières années, permettant d’accueillir des porte-conteneurs, le recours à des navires mixtes est devenu nettement moins pertinent. De plus, le vieillissement de la flotte, à bout de souffle, nécessitait de lourds investissements pour la remise en état et la modernisation des bateaux, qui devaient subir un important arrêt technique l’an dernier. La construction d’unités neuves avait été un temps envisagée, en marge de l’appel d’offres du ministère français de la Défense pour la mise à disposition de nouveaux navires rouliers, qui devaient être, en dehors des périodes d’activité au profit des armées, exploités sur des lignes commerciales. CMA CGM n’ayant pas été retenu, ce projet est néanmoins tombé à l’eau.   Le Saint Roch (© FABIEN MONTREUIL) Le Saint Roch (© FABIEN MONTREUIL) Par conséquent, l’armement a choisi d’abandonner l’exploitation de CON-RO et de privilégier sur le marché africain les porte-conteneurs, plus rentables et à la maintenance bien moins coûteuse que celle des rouliers. D’autant que les besoins de transport de marchandises hors normes ont évolué. Le bois, par exemple, est de moins en moins exporté à l’état de grumes, les pays producteur préférant le transformer sur place et l’expédier par boites. De plus, comme on peut le voir avec des équipements industriels, comme des turbines, et même des ailes d’avions ou des rames de métro, les porte-conteneurs sont tout à fait capables de transporter des colis lourds. Pour gérer ce type de marchandises, CMA CGM a créé en juin 2013 le département  « Project Cargo Africa », chargé de traiter toutes les demandes de chargements hors normes (OOG, projets, breakbulk, colis lourds…) au départ et à destination d’Afrique de l’ouest, du sud et de l’est. « Les CON-RO n’étaient plus adaptés au marché et les nouveaux services que nous avons mis en place pour leur succéder sont bien plus intéressants pour les clients. La fréquence, qui était d’une escale tous les 12 jours avec les rouliers, a été significativement renforcée. Le Gabon, par exemple, est servi deux fois par semaine, ce qui ne s’était pas vu depuis 45 ans. Nous avons mis en place le département Project Cargo pour la clientèle ayant besoin de transporter des colis lourds et les retours sont excellents concernant les services réguliers conteneurisés à l’import et à l’export ». 25% de parts de marché et la volonté de croître encore Alors que CMA CGM entend poursuivre son développement en Afrique et accroître sa part de marché, le groupe exploite désormais 80 navires sur les 25 services desservant le continent. Des bateaux dont la taille a augmenté significativement ces dernières années, avec des capacités situées aujourd’hui entre 4200 et 6000 EVP. Depuis l’époque du rachat de Delmas, où la norme était aux navires de moins de 2000 EVP, l’activité de l’armateur a déjà doublé, lui permettant de détenir environ 25% du marché africain.   Source : Mer et Marine