La « Ségotaxe » va-t-elle calmer les esprits ou susciter de nouvelles et violentes oppositions ? « L’écotaxe est de plus en plus un feuilleton à la Paul Féval ou à la Eugène Sue. Résumé des épisodes précédents : droite et gauche se mettent d’accord pour un impôt supplémentaire sur le dos des méchants transporteurs routiers, sous la forme d’un péage sur 15.000 kilomètres de routes existantes ; les vaillants Bretons manifestent ; l’écotaxe est suspendue ; arrive Ségolène Royal, déguisée en Zorro qui s’engage à supprimer cet impôt ; le besoin d’argent est pressant ; en quelques jours le cabinet de la ministre bricole un compromis qui consiste à ne mettre le péage que sur 4.000 kilomètres. Cette « Ségotaxe » va-t-elle calmer les esprits ou, au contraire, susciter de nouvelles et violentes oppositions ? Pour répondre à cette question, regardons la carte des tronçons de route mis à péage. En passant de 15.000 à 4.000 kilomètres, on a effacé les trois quarts des itinéraires de l’écotaxe. Les transporteurs vont-ils s’en réjouir, puisque l’impôt spécifique, dont on les frappe, va diminuer de moitié, passant de 1,2 à 0,6 milliard d’euros ? Eh bien non ! En réalité, l’impôt va être complètement abandonné pour certains, et totalement maintenu pour d’autres. Il va entraîner la colère redoublée de ceux-ci et le silence gêné de ceux-là, pour au moins trois raisons. Tout d’abord, vaguement mais profondément, le péage est associé à l’Ancien Régime et la gratuité à la Révolution. Le principe de libre circulation a bien été écorné avec les péages des autoroutes : mais celles-ci offraient un service supérieur. Rien de tel ici. Ecotaxe et « Ségotaxe » frappent les routes telles qu’elles sont, même lorsqu’elles sont mauvaises (certaines sont à une voie dans chaque sens). Cet impôt constitue donc un évident retour en arrière, et il est perçu comme tel. La réaction de rejet qu’il suscite est indépendante du kilométrage taxé. Deuxièmement, la « Ségotaxe » augmente les coûts d’une profession déjà très fragile. Pour ceux qui y seront assujettis, le péage (0,13 euro/kilomètre) augmentera les coûts de 10 %, beaucoup plus que les marges. Même s’il est vrai que cette hausse sera en partie répercutée sur les chargeurs, elle sera le seau d’eau qui fait déborder le vase, et la faillite assurée pour beaucoup. La « Ségotaxe » frappe des entrepreneurs – et des territoires ruraux – qui sont le dos au mur. De plus, comme pour attiser la colère, le produit de l’impôt qui jettera de pauvres prolos sur la paille est affecté à des tramways pour l’agrément de quelques riches bobos. Le pire est le caractère discriminatoire de la « Ségotaxe ». Considérez deux entreprises de transport absolument identiques en tout point, sauf que l’une est située dans l’Allier, un département où abondent les tronçons taxés, et l’autre dans l’Aude, un département épargné. La première paiera, au risque de disparaître. La seconde, non. Les camionneurs de l’Allier vont crier à l’injustice. Comment ne pas leur donner raison ? Traiter différemment des égaux est la définition même de l’inéquité. Est-ce d’ailleurs constitutionnel ? En quoi les facultés contributives d’une entreprise sont-elles définies par sa localisation dans l’Allier, ou le Nord, ou l’Alsace ? De plus, la carte des tronçons péagers est établie par décret. Demain, un autre décret pourra la modifier – c’est-à-dire rajouter quelques centaines ou quelques milliers de kilomètres de routes à péage. Une injustice ne blesse pas seulement ses victimes, elle touche aussi ses spectateurs. Au total, la « Ségotaxe » apparaît comme une caricature de l’écotaxe. Elle en limite la portée, mais ce faisant elle en aggrave les effets. Cette triste affaire illustre l’impasse dans laquelle nous conduisent la « taxomanie », l’amateurisme et l’improvisation ambiants » Source : Les Echos